Loucif Hamani, l’ineffable absence…

Loucif Hamani, l’ineffable absence…

Deux années déjà que le virtuose des rings s’est esquivé vers l’éternité, nous balançant au passage un involontaire uppercut au cœur… Demain, une stèle à sa mémoire sera inaugurée lors d’une cérémonie d’hommage qui aura lieu à Igoufaf, son village natal, en Kabylie.

« T’es là, t’es plus là », scandait Julien Teissonnières de sa voix nasillarde et légèrement agacée. Pattes d’ours noires vissées aux mains, pantalon de velours marron et veste Adidas bleue et blanche, il accompagnait sa leçon de boxe de ce genre de formules que seuls comprenaient les initiés. Un sorte de langage codé du ring qui déclenchait aussitôt les réactions presque pavloviennes de ses poulains : un pas de côté, un mouvement du buste vers l’arrière, un « une deux » à la face ou encore une série de coups au corps, par exemple.

Éternel farceur

Mais aujourd’hui, l’expression « T’es là, t’es plus là », se conjugue au premier degré de l’affectif. Un temps qui ne figure que dans le Bled des émotions intimes. Elle résonne comme un fait inacceptable mais pourtant bien réel, une vérité qui ne parvient toujours pas à s’ancrer dans notre cerveau : Loucif Hamani n’est plus. Quoi, Loulou est mort ? Ce n’est pas vrai ! Deux ans après, on n’y croit toujours pas. C’est certainement une mauvaise blague… Dans un instant, son visage va apparaître derrière la porte et son rire retentira dans la pièce. Et puis tout sera comme avant… Comment donc pourrait-il mourir cet éternel farceur ? Il faut pourtant s’y résoudre : Loulou est mort le 9 novembre 2021vers 23h15 à la clinique Pasteur de Vitry-sur-Seine. Il avait 71 ans. Et ça fait déjà deux ans jour pour jour aujourd’hui qu’il nous a quittés. Son visage n’apparaîtra pas derrière la porte et ses éclats de rire ne retentiront plus nulle part. Vous y croyez, vous ? Moi, toujours pas.

Une partition unique

C’est peut-être parce qu’il est entré dans la légende de son vivant que Loucif Hamani est devenu immortel. Comme Michael Jackson, Castro ou Elvis Presley. L’acte de décès, vulgaire papier qui finira par jaunir, est bien impuissant face au mythe, impérissable lui. Dit-on que Picasso est une figure du passé ? Parle-t-on d’Homère comme d’un défunt ? Qui peut dire que Bach ou Mozart n’appartiennent plus à ce monde ? Le génie ne connaît pas la fanaison. L’art véritable sait vaincre le temps. Et c’est ainsi qu’il faut voir la carrière de ce boxeur d’exception pour en comprendre le sens et la portée :  comme une œuvre d’art patiemment modelée au fil des combats. Une sculpture de toute beauté dont les traits et les formes sont nés sur le ring à travers le génie pugilistique de son auteur. À partir de simples gestes esquissés dans le vide, précis et fugaces, purs et poétiques, il a composé pour nous une partition unique dont chaque note résonne encore dans notre âme.

Une boxe enchanteresse

Hamani sur le ring, c’était comme l’apparition d’une aurore boréale verte et pourpre en Alaska ou un ballet de papillons jaunes et blancs au printemps. Un spectacle grandiose, d’une beauté incomparable. Éphémère et éternel à la fois. Fragile et invincible en même temps. À chacune de ses sorties, Loulou offrait à son public un récital pugilistique proche de la perfection. Comme un pianiste qui aurait interprété sans accroc la Polonaise Héroïque de Chopin à la salle Gaveau. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les artistes, les esthètes étaient touchés par la boxe enchanteresse du prodige kabyle. À sa manière, Loucif était lui aussi comédien, musicien, poète, peintre, metteur en scène, sculpteur… Tout cela à la fois.

Comme un chaman en transe

Loucif était un élu. Il avait la grâce, la classe, cette magie indéfinissable que l’on trouve chez les vrais grands. Entre les cordes, sa gestuelle d’une pureté unique dessinait une œuvre d’art éphémère d’une valeur inestimable. Toujours présente en nous près d’un demi-siècle plus tard. Voir boxer Hamani, c’était vivre une expérience spirituelle indicible, bouleversante. Comme un chaman en transe, il ouvrait en nous des portes insoupçonnées, des horizons inespérés. L’émotion nous renversait le cœur. On sortait de là grandis, sublimés, l’âme comblée.

Chouchou du Tout-Paris

Boxeur de génie, instinctif et félin, Loucif Hamani aura marqué les grandes soirées de boxe organisées à Paris dans les années 70 et 80. Du Cirque d’Hiver au Palais des Sports, de la salle Wagram à La Mutualité en passant par Coubertin : partout il boxait à guichets fermés. Une vraie poule aux œufs d’or pour Gilbert Bénaïm et Charley Michaëlis, les deux plus gros promoteurs du moment ! Car programmer Loucif Hamani, c’était à coup sûr, faire exploser le compteur des recettes. Chouchou du Tout-Paris, il comptera parmi ses inconditionnels Alain Delon, Mireille Darc, Jean-Paul Belmondo, Annie Girardot, Johnny Hallyday, Marlène Jobert, Gérard Depardieu, Lino Ventura… Et tant d’autres grands noms du monde du cinéma, de la chanson, de la littérature et des arts…

Des combats d’anthologie

Quintuple champion d’Afrique des poids super-welters, il fut aussi l’un des tous meilleurs poids super-welters (années 70) et moyens (années 80) du monde, longtemps classé dans le top 5 de la WBC et de la WBA. On retiendra notamment, parmi ses sorties mémorables, son extraordinaire prestation face au redoutable cogneur mexicain Chucho Garcia (1975), sa leçon de boxe administrée au multiple champion du monde américain Émile Griffith (1976) et aussi les récitals joués devant les dangereux frappeurs californiens Rudy Robles (1976) et David Love (1978). En 1980, après 22 mois d’inactivité et une préparation très insuffisante, il accepte de rencontrer à Portland (Maine) la star américaine Marvin Hagler (qui venait de faire match nul face au rugueux Vito Antuoformo pour le titre mondial des moyens). Un défi pour le moins téméraire… Hamani s’inclinera par K.O à la deuxième reprise. Un combat largement prématuré et qui n’aurait jamais dû se dérouler en pareilles circonstances.

Un réconfort pour les opprimés

Il y avait aussi, dans la boxe de ce Leonard de Vinci du Noble Art, de la bonté et de la justice. Quelque chose d’indescriptible qui redonnait de la dignité et de l’espérance aux « petites gens » pour lesquelles il éprouvait une affection sincère. Comme Mohamed Ali, il était un réconfort pour les opprimés. Une fierté pour tous les Algériens qui vivaient dans cette France post-coloniale parfois hostile. À travers lui, ils se lavaient des humiliations et des discriminations subies au quotidien. Devenaient résilients et confiants dans leur propre capacité à prendre leur destin en mains. Loucif était la preuve vivante qu’ils pouvaient, eux aussi, devenir grands. Sans trahir leurs racines et en portant fièrement les couleurs de leur pays.  Et c’est peut-être là sa plus belle victoire.

Célébration artistique

Passionnément amoureux de l’Algérie, viscéralement attaché à sa Kabylie natale, Loucif Hamani a été inhumé mercredi 17 novembre 2021 dans son village natal d’Igoufaf (commune d’Aït Yahia) à une quarantaine de kilomètres de Tizi-Ouzou. Là-même ou se tiendra vendredi 10 novembre 2023, une cérémonie à sa mémoire en présence de sa famille, de responsables institutionnels et de dirigeants de la boxe algérienne. A côté de cet hommage officiel, Boxing Art Shop, la boutique dédiée à l’art du Noble Art fondée par Nasser Negrouche, ancien boxeur et compagnon d’entraînement de Loucif Hamani dont il était très proche, célèbre le souvenir du champion en lui consacrant une œuvre d’art unique : un portrait réaliste de grande qualité réalisé avec une technique innovante de peinture digitale conçue par l’équipe de création de Boxing Art Shop. Le rendu est celui d’une peinture traditionnelle de grande facture. On y retrouve avec émotion le regard doux et sincère de Loucif Hamani. Un regard inoubliable, à jamais gravé dans nos cœurs.

Nasser Negrouche

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