Il était l’élégance faite poing. Cette classe naturelle, c’était sa signature. Une marque de fabrique qui transcendait la simple performance athlétique. Dans l’Italie des années 60 et 70, Nino Benvenuti était une icône dont les exploits pugilistiques résonnaient alors avec la ferveur d’une nation en plein essor. Symbole de renaissance, de panache et de succès, il incarnait à lui seul les ambitions d’une Italie qui se rêvait conquérante sur toutes les scènes du monde. En plein “miracle économique”, le pays se transformait à grande vitesse, passant d’une société rurale à une puissance industrielle. Dans cette transition parfois douloureuse, les triomphes de Benvenuti offraient au peuple italien des moments d’unité et de fierté collective. N’était-ce pas la preuve que l’Italie pouvait briller au plus haut niveau ?
Une vista exceptionnelle
Né Giovanni Benvenuti le 26 avril 1938 à Isola d’Istria, alors territoire italien (aujourd’hui Izola, en Slovénie), son enfance fut marquée par les déchirements de l’après-guerre et l’exode des Italiens d’Istrie. Cette épreuve forgea sans doute le caractère résilient et la détermination farouche qui allaient le propulser vers les sommets. Trieste devint son port d’attache, la ville où le jeune Nino découvrit la boxe à l’âge de 13 ans à l’initiative de son père qui voyait en ce sport une belle école de vie. L’adolescent apprivoisera patiemment toutes les ficelles du Noble Art. Doué, il préfère l’intelligence du combat à l’épreuve de force. Sur le ring, il fera de la maîtrise technique sa carte maîtresse. Ce qui ne l’empêchera pas de faire preuve d’efficacité dans les rangs professionnels puisque 35 de ses 82 victoires seront acquises avant la limite. Tacticien hors pair, doté d’une vista exceptionnelle, d’un direct du droit foudroyant, il avait aussi le don, quasi divinatoire, de lire les intentions de ses adversaires. Ses combats étaient, à chaque fois, des démonstrations de précision gestuelle et de sang-froid : l’esquive et la contre-attaque s’enchaînaient avec une fluidité déconcertante.
Invincibilité impressionnante
Son ascension fut rapide, presque météorique. Amateur brillant, il créa l’événement aux Jeux Olympiques de Rome en 1960. Dans la Ville Éternelle, devant un public ébloui, Benvenuti, décroche la médaille d’or en catégorie poids welters. Mieux encore : il remporte également le trophée Val Barker qui distingue le boxeur le plus « stylé » du tournoi. Passé professionnel le 20 janvier 1961, il débute une carrière qui s’étendra sur une décennie, jusqu’en 1971. Sa trajectoire est d’abord marquée par une invincibilité impressionnante avec 65 victoires consécutives ! Il s’affirme d’abord sur la scène nationale en devenant champion d’Italie des poids moyens en mars 1963 face à Tommaso Truppi par KO. Titre qu’il défendra victorieusement face au “maître à boxer” Fabio Bettini, en juillet 1965 à San Remo. Son talent s’exprime ensuite au niveau continental : en octobre 1965, il conquiert le titre européen EBU des poids moyens, alors vacant, en mettant KO Luis Folledo. Peu après, en juin 1965, il monte sur le toit du monde dans la catégorie des super-welters en détrônant son compatriote Sandro Mazzinghi par KO. Avec un double butin à la clé : les deux ceintures WBA et WBC. Il confirmera cette suprématie lors de la revanche en décembre de la même année, par décision unanime.
La trilogie Griffith
Mais c’est dans la catégorie reine des poids moyens que Nino Benvenuti allait écrire sa légende en lettres d’or. Le 17 avril 1967 reste une date gravée dans la mémoire collective italienne. Ce jour-là, au Madison Square Garden de New York, le temple historique de la boxe, il détrône l’Américain Emile Griffith par décision unanime après quinze rounds d’une rare intensité. Il devient le nouveau champion du monde WBA et WBC des poids moyens. Des millions d’Italiens, l’oreille collée à leur poste de radio, veillèrent pour suivre l’exploit en direct. La trilogie contre Griffith fut épique : Benvenuti perdit les titres lors de la revanche en septembre 1967, avant de les reconquérir triomphalement, toujours au Madison Square Garden, le 4 mars 1968, par décision unanime. Lors de cette dernière confrontation, il envoya même Griffith au tapis au neuvième round. Par la suite, il défendra victorieusement ces ceintures face à de multiples prétendants, notamment contre Don Fullmer en décembre 1968 et Luis Rodriguez, mis KO en novembre 1969.
Détrôné par Monzon
Son règne prit fin face à un autre monstre sacré : l’Argentin Carlos Monzon. Le 7 novembre 1970, à Rome, dans un Palazzo dello Sport plein à craquer, Benvenuti est détrôné par TKO au douzième round. Le combat sera désigné « Combat de l’année » par le prestigieux Ring Magazine. Ce soir-là, l’atmosphère était électrique, hostile à l’Argentin accueilli sous les huées et les projectiles. Plus tard, Monzon confiera : « Jamais encore je n’avais été accueilli par une foule aussi haineuse… Toute cette mise en scène, ces railleries, loin de me saper le moral, me donnèrent du cœur au ventre. Je serai champion du monde. » La revanche eut lieu le 8 mai 1971, au stade Louis-II de Monaco, devant un parterre de célébrités dont la famille Grimaldi, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon. Monzon s’imposera par jet de l’éponge au troisième round face à celui qu’il surnomma « le fantôme de Benvenuti ». Commentaire de l’Italien à propos de son adversaire : « C’est un fauve, un animal… ». Ce sera son dernier combat.
Dans la légende du Noble Art
Malgré ces deux défaites face à Carlos Monzon, la popularité de Nino Benvenuti demeura intacte lorsqu’il décida de raccrocher les gants. Charismatique et toujours souriant, il s’essaya au cinéma et à la télévision. On le vit notamment avec Giuliano Gemma sur le grand écran. Commentateur sportif respecté pour son franc parler, il devint aussi un homme d’affaires avisé. Intronisé à l’International Boxing Hall of Fame en 1992, Nino Benvenuti est définitivement entré dans la légende du Noble Art. Le Comité Olympique Italien (CONI) a d’ailleurs annoncé la mise en berne des drapeaux et l’ouverture d’une chapelle ardente en son honneur. Le président du CONI, Giovanni Malagò, a salué « un champion extraordinaire » qui restera « une légende, un mythe pour toujours ».